La fratrie

Les frères et sœurs de l’enfant handicapé sont comme tous les autres enfants, aux prises avec leur imagination, leurs perceptions, leurs déceptions, leurs espoirs, leurs questions sur la vie en général, et sur la leur en particulier.

Grandir avec un frère ou une sœur handicapé soulève les mêmes questions que dans une famille ordinaire, comme, la place de chacun dans la famille, le besoin d’amour et de reconnaissance, les rivalités entre frères et sœurs, les disputes et la qualité du lien qui se noue au fil des ans, mais présente aussi des particularités dont il faut tenir compte et pose des questions très spécifiques qu’il faut traiter de manière singulière.

La fragilité identitaire

«Comment exister par soi-même et pour soi-même ? Être soi sans renier les racines communes ? Accepter sa différence comme sa ressemblance avec sa sœur ou son frère handicapé ? Éviter d’être son prisonnier sans rompre les liens ? Rester uni à lui sans pour autant être possédé par lui ? Être sa sœur ou son frère sans être lui ? Trouver une place ici et maintenant dans le monde des « normaux » dont il est exclu ? Affirmer sa « normalité » quand les autres vous regardent comme si vous étiez vous-même handicapé ou condamné à perpétuité à l’identité de frère ou sœur de personne handicapée». Charles Gardou, Frères et Sœurs de personnes handicapées.

Ce n’est pas seulement lorsqu’ils sont petits que le handicap a des conséquences sur les frères et sœurs, ce sera durant toute leur vie. Aussi, il est important qu’ils puissent en parler, avec un professionnel, dans des groupes de parole ou avec un membre de la famille auprès duquel ils pourront dire ce qu’ils pensent et ressentent.

Dans une fratrie, chaque enfant s’identifie successivement à différents membres de la famille et construit son identité en fonction des liens qu’il aura noués avec ses parents ou ses frères et sœurs. Les relations fraternelles auront des répercussions sur sa vie d’adulte, affective, sociale et professionnelle.

Lorsqu’un des enfants de la fratrie est handicapé, le dialogue avec cet enfant est perturbé, les frères et sœurs ne sont pas forcément valorisés dans leur interaction avec lui, et la façon dont ils vont réagir dépendra aussi de la façon dont les parents gèrent psychiquement la présence du handicap dans la famille.

Pour éviter des incompréhensions qui peuvent aboutir à une culpabilité, une révolte ou un sentiment d’abandon, mieux vaut instaurer le plus tôt possible un dialogue avec les frères et sœurs sans essayer d’atténuer ou de masquer les difficultés que le handicap entraîne, et repérer au sein de la famille les personnalités sur lesquelles les frères et sœurs pourront s’appuyer pour se construire «malgré» ou «avec» la présence du handicap.

la construction du lien fraternel

Comment les frères et sœurs de l’enfant handicapé arrivent-ils à vivre avec le sentiment d’être rescapés par hasard? Comment parviennent-ils alors à se développer dans une famille atypique ? Charles Gardou, Frères et Sœurs de personnes handicapées.

Régine Scelles, professeur des universités en psychopathologie et psychologue clinicienne a édité plusieurs ouvrages sur la complexité du lien entre frères et sœurs.

Elle nous dit que le lien fraternel est électif et évolutif. Que l’enfant se construit par identification puis différenciation d'avec son frère ou sa sœur. La relation fraternelle passe du miroir «je suis comme lui» à la différenciation «je suis différent de lui».

Lorsque le frère ou la sœur est handicapé, l’identification à l’autre est «problématique» dans les deux sens, pour le frère ou la sœur valide comme pour celui qui est handicapé.

Des questions comme «En quoi suis-je différent? En quoi ai-je le droit d’utiliser mes différences? De les valoriser? Dois-je faire comme si nous étions pareils ?», peuvent se poser. Pour résoudre ces questions, l’enfant doit pouvoir en parler, de façon à ce que les adultes lui donnent l’autorisation de grandir autrement que son frère ou sa sœur.

D'une façon générale, le handicap ne doit pas engendrer d’attitudes «prescrites» par les parents : «Je l’aime, … je ne voudrais pas avoir d’autre frère que lui». Il vaut mieux laisser aux frères et sœurs la liberté de créer leurs liens, d’expérimenter la relation à l’autre. D’autant qu’ils ont beaucoup à apprendre ce frère ou de cette sœur «différent».

La culpabilité

Pour les parents, la présence du handicap chez un des enfants se traduit souvent par moins de temps à consacrer aux autres membres de la famille, une attention aux autres perturbée par les besoins de l’enfant handicapé, une vie sociale parfois moins riche. Ce qui peut entraîner, chez les frères et sœurs des sentiments contradictoires, qui peuvent être difficiles à exprimer, parce que sous-tendus par la culpabilité : «Ils en veulent secrètement à l’enfant handicapé et se sentent coupables de lui en vouloir. Charles Gardou, Frères et Sœurs de personnes handicapées.»

Régine Scelles, dans son ouvrage sur «l’influence du handicap d’une personne sur ses frères et sœurs» nous explique comment le handicap d’un enfant peut faire naître chez son frère ou sa sœur, un sentiment de culpabilité :

Elle souligne que le bébé porteur de handicap est toujours une blessure narcissique pour les parents : «Ses parents, ses frères et sœurs ne sont pas valorisés parce que leurs interactions n’entraînent pas de gratifications mutuelles mais plutôt des frustrations. La façon dont les frères et sœurs réagissent dépendra de la façon dont les parents gèrent psychiquement la présence de leur enfant déficient. Le manque d’explication et de dialogue avec les parents peut inhiber l’enfant «normal» ou provoquer chez lui une révolte.»

Or, l’agressivité ressentie est difficile à assumer envers un enfant handicapé. Lorsqu’elle n’est pas exprimée, elle va engendrer de la culpabilité.

Il est donc vital d’aider les frères et sœurs à exprimer aussi souvent que possible leur ressenti, de la façon la plus libre possible.

Il peut cependant être très douloureux pour un parent d’entendre le frère ou la sœur de l’enfant handicapé dire qu’il préfèrerait avoir un frère ou une sœur «normale». S’appuyer sur un professionnel qui aide les parents à se libérer de leur propre culpabilité permet souvent de prévenir des situations compliquées au moment de l’adolescence.

La tentation de la réparation

Lorsque l’un des enfants de la fratrie est un enfant handicapé, inévitablement, l’ensemble des liens qui se tissent au sein de la famille sont orientés de manière particulière. Le rôle que chacun occupe dans la structure familiale est modifié. Les autres enfants de la famille, les enfants non malades, sont le plus souvent considérés comme des enfants sans problèmes et qui doivent aider. Eux-mêmes se sentent animés d’une responsabilité singulière à l’égard de l’enfant malade. Claudie Bert,La fratrie à l’épreuve du handicap.

Pour un parent d’enfant handicapé, il n’est pas toujours facile de mesurer l’impact de la maladie de cet enfant sur ses frères et sœurs. On vit souvent au jour le jour, et même si on perçoit les difficultés qu’engendre cette situation de famille inhabituelle avec son cortège de rendez-vous médicaux, paramédicaux, de dossiers à remplir et de tâches répétitives qui prennent du temps et épuisent souvent, on demande parfois plus qu’il ne faudrait aux autres enfants de la fratrie.

On les voudrait irréprochables, travaillant bien à l’école, jamais malades, et heureux de vivre quoiqu’il arrive.

«En devenant de « très bons enfants », les frères et sœurs aident leurs parents à vaincre le fantôme de l’enfant parfait et à accomplir le deuil. Cette surcharge parentale s’avère fortement anxiogène : parviendront-ils à consoler leurs parents et à combler, par leur réussite scolaire, professionnelle ou sociale, les brèches ouvertes par le handicap ? Arriveront-ils à être l’enfant modèle brillant et heureux permettant à la famille d’offrir une image acceptable d’elle-même ? Apporteront-ils à leurs parents le bonheur dont ils ont été privés ?», Charles Gardou, Frères et Sœurs de personnes handicapées.

Cette recherche de réparation est fréquente chez les frères et sœurs, elle peut prendre différentes formes, et correspond à une tentative de s’aider soi-même face aux questions laissées sans réponse, à la peur de déplaire, voire au sentiment d’abandon.

Les frères et sœurs transforment alors leur agressivité ou leurs angoisses, la peur du rejet de l’adulte ou la culpabilité, en responsabilité et dévouement.

Il faudra alors être attentif à ce que les frères et sœurs puissent grandir librement, sans leur donner de surcroît de responsabilités ou de missions «impossibles». Les responsabiliser mais en les laissant à leur place d’enfant et s’inquiéter d’un frère ou d’une sœur «trop sage» ou d’une recherche trop grande de la perfection.

Le lien social

«La « honte de » et la « honte pour » rendent malaisées les relations sociales et peuvent conduire, insidieusement, les frères et sœurs à s’isoler. À se couper des autres. À se soustraire à leur regard. À fuir le monde extérieur. À désirer se cacher et disparaître. Ils se donnent en ce cas le cocon familial comme lieu-refuge et s’y recroquevillent. Charles Gardou, Frères et Sœurs de personnes handicapées.»

De même qu’il faut être attentif à laisser les frères et sœurs s’exprimer sur les sentiments souvent contradictoires qu’engendre la présence d’un enfant handicapé au sein de la famille, il peut être tout aussi vital de faire attention à entretenir le lien social.

Pour préserver ce lien, il faut essayer le plus possible de parler du handicap, de trouver les bonnes informations et les mots justes, pour que les frères et sœurs puissent se les approprier et se défendre ainsi de la honte que peut leur procurer une famille repliée sur elle-même ou centrée sur le handicap.

L'impact du handicap sur l'avenir des frères et soeurs

Tous les parents d’enfant handicapé vous diront que le handicap a changé leur vie, ce qui tombe sous le sens pour le commun des mortels. Mais plus étonnant, que le handicap leur a donné une meilleure connaissance d’eux-mêmes et qu’ils ont fait des choses ou connu des personnes, qu’ils n’auraient pas faites ou pas rencontrées, sans le handicap de leur enfant. Le handicap de l’enfant est un révélateur des compétences des parents.

En est-il de même pour les frères et sœurs ? Tout parent d’enfant handicapé se pose inévitablement cette question : quel est l’impact du handicap de mon enfant sur ses frères et sœurs ?

Il n’y pas de réponse scientifique à cette question, puisque l’impact dépend de la nature du handicap, du nombre de frères et sœurs et de leur place dans la fratrie, du comportement des parents vis-à-vis de la maladie, et d’un grand nombre de paramètres environnementaux.

Mais il y a cependant des constantes ou au moins des tendances : des frères et sœurs précoces, qui grandissent plus vite, sont très autonomes, sont plus ouverts sur les autres et choisissent dans un grand nombre de cas des professions en lien avec la santé.

Peu importe au fond le métier qu’ils choisiront, ce qui importe, c’est le degré de liberté avec lequel ils pourront faire les choix importants de leur vie.

Claudie Bert, dans son ouvrage «La fratrie à l’épreuve du handicap» en parle très bien :

«Pendant longtemps, la place de la fratrie dans la formation de la personnalité a été négligée, au profit du prisme de la relation avec les parents. On connaît mieux, à présent, l’immense terrain que la vie fraternelle propose en termes d’expériences affectives, cognitives et sociales. Ce lieu opère comme un médiateur qui, en stimulant la pensée, l’imagination et les apprentissages, renforce l’autonomie et l’identité individuelle. Les jeux qui s’y mènent sont autant de mises en scène où chacun peut jouer différents rôles, libérant sans mesure ses sentiments d’amour et de haine. Préfigurant les futures relations sociales, on y apprend à accepter les contraintes, à trouver des compromis et à canaliser l’hostilité et la rivalité»

Dans ce contexte, «Être à l’écoute des frères et sœurs et leur permettre de s’exprimer librement est tout aussi important que de l’être pour celui ou celle qui porte le handicap».

En conclusion 

Le pendant de cet article pourrait être «Le jeune handicapé confronté à sa fratrie». Malheureusement on trouve très peu de publications sur le sujet, même si Régine Scelles a commencé à explorer ce thème majeur, puisque nos enfants handicapés sont eux aussi des adultes en devenir et que toutes les observations, remarques et réflexions évoquées dans cet article s’appliquent en miroir à l’enfant handicapé lui-même.

Je laisse donc le mot de la fin à Régine Scelles, «Le dialogue au sein de la fratrie, la possibilité pour la personne handicapée d’y prendre sa place, favorisent le fait que le handicap permette à tous les enfants de la famille de bénéficier de leurs différences, tout en parvenant à assumer et à reconnaître leurs ressemblances». Régine Scelles, in Maurice Villard, «la fratrie du jeune handicapé».

Denise Laporte, vice-présidente de l’AFSA, maman de Jean, 33 ans, atteint du syndrome d'Angelman.

Pour en savoir plus 

Ouvrages

Claudie Bert : La fratrie à l’épreuve du handicap

Maria Carrier : Handicaps, Paroles de frères et sœurs

Marie Hélène Delval : Un petit frère pas comme les autres

Catherine Dolto : Vivre avec un handicap

Charles Gardou : Frères et sœurs de personnes handicapées

Charles Gardou : Parents d’enfant handicapé

Sylvaine Jaoui : Je veux changer de sœur

Maurice Villard : La fratrie du jeune handicapé

Danièle Saint-Bois, Frère

Parents, nous voudrions vous dire, Ed AFSHA (Association Nationale des Sœurs et Frères de personnes Handicapées).

Silence et contre-chant, Avoir un frère ou sœur handicapé, Ed APF

Frères et Sœurs, une place pour chacun : Ed Déclic

Groupes de paroles :

Certains établissements de type CAMSP ou SESSAD proposent des groupes pour les familles des enfants qu'ils accueillent. Le site http://www.enfant-different.org/ recense un certain nombre de propositions sur l’ensemble du territoire.


La vie quotidienne

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